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Wellcome

Un bout de toile, ça sert toujours à se moucher.

mardi 14 juin 2016

Pénibilité

La nouveauté a toujours ces effets de surprise... Je ne savais rien de ce que je devenais, je ne sentais pas mon corps, on le posait où on voulait sans que je ne sente rien si ce n'est l'appréhension d'une chute, la peur qu'on me laisse tomber m'affolait véritablement, la perte de confiance en moi me pétrifiait dans l'attente de tout un chacun pour me porter secours, je n'osais rien demander (c'est malpoli de demander), jusqu'à ce que j'entende les autres témoigner de leur propre expérience, plus rien n'était "normal".

C'est le respect qu'on est obligé d'avoir face au courage des autres qui nous pousse à nous respecter et à faire preuve de courage nous-même.
En effet, quand un accidenté de longue date vous raconte son parcours de vie avec le sourire alors que si vous l'aviez lu vous en auriez pleuré, ça vous dit à quel point il a du relativiser pour continuer à pousser son fauteuil. Et tandis que leur volonté m'apparaissait grandiose, tout mon héritage culturel, tous mes acquis, toutes mes épreuves antérieures n'étaient plus dignes de mon intérêt face à l'envergure des combats menés vers l'autonomie dans la dépendance.
Le périple qui m'attendait me donnait des hauts-le-cœur, les sujets de conversation sur les opérations de la vessie, des épaules, des membres supérieurs pour gagner ou préserver de l'autonomie, l'accessibilité de certains lieux, le matériel adapté, les aides spécifiques, les associations... là encore, heureusement qu'en plus de mon frère des amis me visitèrent pour me rappeler autrement à moi-même que comme une tétraplégique en devenir, leur  évolution à l'extérieur du handicap et surtout leur manière de s'adresser à moi m'extirpait pas à pas de cet endolorissement intellectuel. Ma rééducation était en réalité plus psychique que physique car il est dur de se motiver chaque jour à faire quoi que ce soit quand le mouvement est impossible sans aide. Mon plus pénible effort fut donc l'acceptation d'autrui dans mon espace personnel, la perte de mon intimité effaçait ma personne qui n'avait plus rien à défendre, en faire le deuil m'éprouve encore aujourd'hui.

À part ce bout de hanche tronçonnée et ce trou dans ma gorge aucune séquelle n'apparaissait, voilà comment je relativisais, contrairement à d'autres je pouvais bouger les bras et m'exprimer (il y a toujours pis que soi).
Pourtant je me sentais déjà si loin de la dimension des "valides", des êtres considérés comme des personnes pouvant réaliser l'avenir, que ma tristesse m'ouvrait les yeux sur la réalité sur la soit disant valeur qui avait réduit mon existence à manger de tout pour pouvoir chier et à boire des litres d'eau pour délayer mes infections urinaires. Les contraintes liées à une vie paralysée où seul ce fameux relativisme vous entraîne à survivre, vous faisant croire finalement que vous êtes chanceux d'avoir votre esprit pour comprendre à quel point tout ce pourquoi vous existiez est insignifiant sans un corps qui puisse en jouir. Le fait même de m'exprimer m'épuisait ou me suffoquait, il m'aura fallu souffler dans un "Triflo" jusqu'en Janvier 2015, jusqu'à ce que je récupère 50% de mes capacités pulmonaires pour être libérée de la trachéotomie et enfin commencer à travailler l'équilibre assis.



Mais ce qui m’exaspérait vraiment c'était l'obligation de vivre comme un boulet parce que la médecine pouvait continuer à me faire respirer, parce que le progrès donne de l'espoir, parce qu'il faut toujours se battre et non parce que j'en avais envie.

à suivre



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