J'entrouvrais les yeux dans une chambre exiguë, allongée sur le lit superposé à celui de l'interne qui m'humectait la bouche avec un coton, quand je vins à manquer d'air _ Là, entre le rêve et la réalité, j'eu l'impression d'être un lampadaire à qui on greffait un interrupteur... tel celui de mon salon qui me sert d'autel en plein délire_ pensais-je en m'évanouissant.
Chambre 6 au DAR C en réanimation au service tête et cou, des sonneries inondent mon univers auditif... je les prends pour des faxes envoyés par mon frère...
En pleine nuit, un aide soignant s'introduit dans ma chambre et se met à crayonner du bout de la pièce. Branchée au respirateur, la rage montait frustrée de ne pouvoir s'exprimer. Pour la première fois, je ne pouvais pas me défendre. Ce viol de mon intimité en pleine nuit fut le premier forfait subi en cet enfer d'impudeur et d'irrespect qu'est le handicap. Dans cette sphère médicalisée, où le malheur n'est qu'un produit dont on parle à but lucratif ou de façon consensuelle, j'allais m'enliser dans une sorte de mutisme hébété me permettant d'assister à ma vie sans réellement y prendre part.
Allongée constamment sur le dos, ma chair sous mes yeux jour après jour s'affaissait, et tandis que les soins rythmaient mes journées, seules les visites de mes proches me ramenaient à moi.
Pendant des jours, réveillée pour la toilette au lit (deux personnes étrangères et différentes chaque jour vous déshabillent, vous nettoient avec un gant tellement essoré qu'il en est sec, y frottent du savon et vous en badigeonnent vulgairement la peau et les parties intimes pour vous caresser avec un gant à peine humide en guise de rinçage), rituel qui vous agresse tant physiquement que psychiquement ; mais, en réanimation, on ne pense pas que cela peut être une façon d'être lavé pour toujours !_ Complètement perdue, isolée de la vie et de ses réalités, avec l'ouïe et la vue comme seuls sens, un corps amorphe et insensible au chaud, au froid comme au touché, ne sentant plus que les sons et leurs percutions, voilà l'univers sensoriel du nouveau né tétraplégique dans lequel j'évoluais suite à l'accident de voiture._
Durant ces premiers jours d'éveil au C.H.U de Guy de Chauliac, je ne pouvais pas tenir assise dans le lit, j'avais perdu l'équilibre et mon buste penchait, glissait irrésistiblement vers le ventilateur tuyauté à ma gorge sans que je puisse le redresser. Réveillée mais choquée, ni le passé ni l'avenir ne me préoccupaient, seuls ceux gravitant autour moi suscitaient quelque intérêt.
A mille lieu de la société humaine je me déshumanisais, m'oubliais moi-même, seule l'attention qu'on me témoignait engendrait une réflexion sur mon état ; durant les premières semaines, je ne réalisais pas du tout que je resterais paralysée, que je ne serais plus jamais traitée comme une femme, que je n'engendrerais que pitié, compassion, peur, dégoût, curiosité et jalousie chez autrui.
à suivre
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